Note de Marie Noëlle

Ma mère a grandi à Madrid sans père. Elle l'a rencontré pour la première fois à l'âge de seize ans, en France. J'ai essayé de la questionner sur cette période de sa vie. Mais une drôle d'amnésie frappe les exilés. Les questions les plus simples peuvent provoquer la panique et le mensonge est souvent la seule réponse possible. Les récits vagues et éparpillés des membres de ma famille m'ont laissé sur ma soif mais j'ai toujours eu le sentiment que ce qu'il y avait derrière était trop dangereux, qu'il valait finalement mieux ne pas en parler et creuser plus loin. Comme si les catastrophes du passé pouvaient resurgir à tout moment et vous engloutir. Ainsi ai-je grandi avec un père mais sans histoire familiale explicite et je connais l'étrange sentiment de délaissement qui étreint les apatrides. Les hasards de ma vie ont fait de moi aussi une émigrante. Je vis désormais en Allemagne, où j'ai choisi de travailler. Enfant de l'exil et exilée volontaire, j'ai décidé de m'offrir une tranche de vérité par le biais de la fiction en inventant une histoire qui pourrait être celle de ma famille, emprisonnée jusqu’à ce jour et peut-être à jamais derrière les mûrs des mémoires récalcitrantes.

C'est la guerre civile espagnole qui a fait se réfugier en France les personnages de l'histoire que je conte, cela aurait pu être une des trop nombreuses guerres d’aujourd’hui. Les problèmes auxquels ils sont confrontés ne sont guère différents: liens familiaux brutalement rompus, humiliations, langue, prospérité, identité perdues. Ils ont échappé à la mort ou à une vie de chien mais ils ne font désormais plus partie de rien et sont à jamais dépossédés de ce qu'ils ont vécu dans leur patrie. Et pour s'intégrer dans leur nouveau pays, reconstruire leur identité, les émigrés s'amputent souvent de leur mémoire. Quelque soit l'époque, les mêmes tragédies reviennent, les mêmes massacres. La guerre, l'exil n'en finissent malheureusement pas d'être les thèmes de la nôtre.

Ce film est avant tout une grande histoire d'amour. Le contexte historique n'en est que la toile de fond. Ce n'est pas l'"Histoire" qui m'interesse mais les histoires, leur réseau inextricable de mystères, de sentiments, d'espoirs déçus, de relations impossibles et, en leur centre, des personnages.
Mes personnages sont des déracinés et leur histoire est celle de l'exil. L'amour les garde en vie. Mais à quel prix?